Les parties civiles ont offert des témoignages déchirants lors du procès des attentats de Trèbes et Carcassonne

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Avec les familles à la cour d’Assise de Paris

C’est en allant sur place au procès des attentats de Trèbes et Carcassonne, à la cour d’Assise de Paris, qu’on peut le mieux s’associer au sort des victimes. C’est dans cette grande salle, à leur côté, qu’on comprend peut-être plus qu’ailleurs l’horreur de cette journée du 23 mars 2018 ainsi que tout ce que cet acte terroriste a brisé, dans de si nombreuses vies.

C’est ce que j’ai voulu faire personnellement le 29 janvier matin, à l’occasion de la 6ème journée du procès. Elle était organisée autour des témoignages de la famille de Christian Medvès, le boucher assassiné, et des employés rescapés du Super U.

Christian Medvès, âgé de 50 ans, était le le chef boucher du supermarché de Trèbes. Capture Facebook

En entrant dans la salle d’audience, on perçoit la solennité et la gravité du lieu avec une dizaines de juges et magistrats et une trentaine d’avocats, représentant la défense, les parties civiles et le Ministère Public. De très nombreux gendarmes patrouillent dans les allées.

On s’étonne ensuite du vide du box des accusés. Parmi les 7 accusés, un seul est présent. Ne s’étant pas présenté le premier jour du procès, il est amené de force chaque matin. Il ne montre aucune émotion et semble à peine écouter les témoignages comme s’il voulait se montrer absolument étranger à ce qui se déroule devant lui.

On remarque enfin et surtout la présence des parties civiles et on s’associe vivement à leur douleur après leurs témoignages. Elles s’avancent une à une vers le pupitre, passant devant tous les avocats et le box des accusés. L’émotion est grande, le pas est lent. Leur voix tremble, les yeux sont souvent rougis, elles partagent leur souffrance avec une grande dignité et beaucoup de pudeur. Je pense par exemple à Virginie, la boulangère du Super U, qui a écrit son témoignage pour pouvoir le dérouler sans trébucher. Elle tient ses mains tremblantes sur son ventre. Elle lit avec la voix chevrotante. Malgré les sanglots et l’émotion qui la saisit, elle va jusqu’au bout de son témoignage. On comprend qu’il est pour elle une épreuve mais aussi une libération. Un client commence aussi son témoignage par ces mots : « Je prends la parole pour me libérer d’un poids que je porte depuis 6 ans».

Avec le témoignage des parties civiles, cette première partie du procès est une phase essentielle pour toutes les victimes et les juges. Elle n’apporte pas nécessairement de détails clefs pour mieux comprendre les faits mais elle permet de saisir leurs conséquences concrètes et dramatiques sur la vie des victimes. Elle permet aussi au public dont je fais partie de les écouter avec compassion et de s’associer à leur douleur. Le juge leur demande à chacun leurs attentes pour le procès. Beaucoup ne voulaient pas venir initialement, mais ont finalement décidé de se rendre dans ce lieu impressionnant pour prendre la parole. Pour certains, il s’agit de rendre hommage aux victimes décédées, pour d’autres de se libérer de cet évènement qui les enferme depuis si longtemps. Pour les autres enfin, il s’agit d’établir la vérité pour que Justice se fasse.

Le récit glaçant des faits

En ce lundi 29 janvier 2024 matin, les employés du Super U apportent chacun leur perception de cette journée terrible du 23 mars 2018. Christian Medvès était connu et apprécié de tous. Il était le représentant du personnel, était toujours joyeux et agréable avec tous. Avec certains, il était même devenu un ami.

Les salariés du Super U racontent leur sidération initiale, comment ils ont cherché à s’enfuir par la zone de livraison derrière le magasin et souvent aider d’autres à s’enfuir. Ils racontent leur peur immense et le caractère interminable de la journée. Ainsi Virginie raconte « que son cœur bat si fort, qu’elle le croit sortir de sa poitrine ».

Le témoignage de Céline est extrêmement émouvant car elle a vu Christian mourir assassiné devant ses yeux et ces images la hantent encore. Elle était à l’accueil avec Julie, qui deviendra l’otage. Christian était venu lui faire la bise lorsque le terroriste arrive. Elle raconte : « Le terroriste m’a fait un grand sourire, a chargé son arme, m’a dit ‘c’est comme ça qu’on fait’ et a tiré sur Christian dans le dos. Le terroriste dit ‘Ah vous voulez bombarder nos frères en Syrie ? Vous allez payer maintenant’. Christian était en sang au sol. » Elle restera plus d’une heure cachée recroquevillée sous la caisse, tout près du corps de son collègue Christian. Elle avait gardé son téléphone et était en contact avec son mari et des collègues qui l’inondaient de messages. N’étant pas dans le champ des caméras de vidéo-surveillance, elle n’avait pas été localisée par la gendarmerie. Elle assistera à l’échange entre Arnaud Beltrame et Julie, puis sera évacuée grâce à la demande pressante d’une autre employée auprès des gendarmes, Charlotte.

Des vies brisées et des traumatismes considérables

Les victimes vivantes parlent toutes d’un avant et d’un après « 23 mars 2018 10:35 » et du traumatisme persistant, y compris 6 ans après. Les témoins évoquent leurs vies brisées : des couples séparés, des distances prises par les enfants, des dommages physiques générés par le stress immense, des troubles du sommeil, de la digestion, des phobies de pièces fermées, des foules ou de lieux bruyants. Un client du magasin raconte : « Je n’ai jamais eu aucun problème de santé avant. J’ai perdu mon emploi après 4 ans d’arrêt maladie. Je fais des cauchemars. Je sursaute dans la rue. J’évite de sortir de chez moi. Je m’énerve pour un rien. Aujourd’hui je survis. Je n’ai plus de force dans les bras, je ne peux même plus ouvrir une bouteille d’eau. »

Pour Martine, la comptable du super U: « Cet attentat n’a pas seulement fait 4 victimes, mais aussi des personnes encore en vie … mais dans quel état?« 

Pour certains, leur situation est devenue précaire. Certains indiquent même avoir été harcelé par le fonds de garantie pour clôturer leur dossier et ne pas pouvoir s’offrir de suivi psychologique malgré leur besoin.

Leur décence est impressionnante. Ils n’ont pas un mot plus haut que l’autre, ne portent pas de jugement, ne cherchent pas à attirer la pitié. Ce sont souvent leurs avocats qui doivent leur poser des questions pour qu’ils se livrent. L’avocat du Ministère Public en témoigne : « Je suis impressionné par la sobriété des parties civiles. »

“Transformer la colère en amour”

Les parties civiles indiquent toutes leur choix conscient et délibéré de ne pas sombrer. Plusieurs font mention de dépressions, parfois d’avoir pensé au suicide. Mais toutes veulent aller de l’avant. Julie, la fille de Christian Medvès en particulier a eu des mots touchants : « On n’oublie pas. On ne pardonne pas. On est là pour se battre, pour notre père, contre cette idéologie. J’étais infirmière en cardiologie et n’ai pas pu rester m’occuper de personnes en fin de vie. Je m’occupe désormais d’enfants ». Sa mère Nathalie, épouse de Christian est aussi une battante : «Comment surmonter l’irréel, l’inimaginable dans notre village ? Je veux me battre pour mes filles, mes petites filles, mon mari pour ne rien donner aux personnes qui ont voulu cela. Nous transformons la colère en amour. Notre amour nous a sauvé. »

Voilà les mots qu’il faut sans doute retenir de cette journée. Au-delà de l’héroïsme du colonel Beltrame, toutes les familles et victimes nous montrent que c’est la fraternité, le don de soi et l’amour qui sauvent le monde.

Stanislas dLF.

Pour aller plus loin

En 2019, Nathalie Medvès et ses filles témoignaient auprès de BFM.

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