Arnaud Beltrame devait-il se livrer comme otage ?
C’est une question qui revient parfois au sujet d’Arnaud Beltrame: devait-il se substituer ? A-t-il enfreint le protocole ? A-t-il désobéi ? La gendarmerie lui en veut-elle d’avoir pris l’initiative de se livrer? Pierre-Marie Giraud notamment a creusé cette question en y dédiant un chapitre complet dans son livre « L’héroïsme pour servir«
Rappelons d’abord les fruits de sa décision:
- L’otage Julie a été sauvée. Elle a écrit un livre pour livrer son expérience et faire part de l’immense gratitude qu’elle éprouve pour Arnaud Beltrame (Sa vie pour la mienne)
- Arnaud Beltrame a neutralisé le terroriste. On sait depuis les études balistiques qu’il avait mis hors de combat le terroriste : révélations sur le dernier combat d’Arnaud Beltrame
Il faut aussi rappeler d’emblée que Arnaud Beltrame ne s’est pas sacrifié : il s’est livré pour mener un combat et vaincre car il s’estimait en mesure de négocier avec le terroriste ou de le dominer par un combat physique. Arnaud Beltrame n’a pas pu le convaincre mais il a réussi à mettre le terroriste hors d’état dans ce combat à mort final.
Malgré cela, des critiques ont été formulées dans la presse selon laquelle la décision d’Arnaud Beltrame n’était pas conforme aux procédures. C’était le cas de cet article de 20 Minutes : Attentat de Trèbes : L’ « acte de courage héroïque » d’Arnaud Beltrame était une « erreur au sens militaire »
Dans cet article nous allons décrypter si le colonel Beltrame a respecté les procédures et s’il a eu raison de prendre cette décision de se livrer à la place de Julie pour la sauver.
Déroulé des faits : L’attentat de Trèbes
Dans quel cadre se situait l’intervention d’Arnaud Beltrame lors de l’attentat de Trèbes?
Lorsqu’il est devenu officier de gendarmerie, Arnaud Beltrame, comme tout officier, a prononcé ce serment du gendarme : « Je jure d’obéir à mes chefs en tout ce qui concerne le service auquel je suis appelé et, dans l’exercice de mes fonctions, de ne faire usage de la force qui m’est confiée que pour le maintien de l’ordre et l’exécution des lois. » (Décret n° 2013-874 du 27 septembre 2013 relatif à la prestation de serment des militaires de la gendarmerie nationale)
Par ailleurs, l’intervention d’un officier de gendarmerie nationale (OGN) s’inscrit dans un cadre réglementé par le droit français et les procédures internes à la gendarmerie. Voici les principaux cadres et procédures qui régissent leur intervention :
1. Cadre légal
Les interventions des officiers de gendarmerie sont encadrées par plusieurs textes législatifs, principalement :
- Le Code pénal et le Code de procédure pénale, notamment pour les missions judiciaires.
- Le Code de la défense, pour les missions de sécurité intérieure et défense.
- La Loi de sécurité intérieure (LSI) et autres textes spécifiques.
2. Missions de l’officier de gendarmerie
Les officiers interviennent dans des missions variées :
- Maintien de l’ordre public : prévention et gestion des troubles à l’ordre public, manifestations, émeutes.
- Police judiciaire : enquête, constatation des infractions, recueil des preuves, interpellation des suspects.
- Police administrative : prévention des atteintes à la sécurité publique (contrôles routiers, gestion des événements à risques, etc.).
- Protection et secours : intervention lors de catastrophes naturelles, accidents majeurs, secours aux populations.
- Commandement opérationnel : supervision des opérations sur le terrain.
3. Autorisations et réquisitions
L’intervention d’un officier peut être déclenchée dans plusieurs contextes :
- Sur ordre judiciaire : réquisition d’un procureur ou d’un juge d’instruction (perquisitions, arrestations, surveillances).
- Sur réquisition administrative : préfet ou autorité administrative pour des situations liées à l’ordre public.
- D’initiative propre : dans les cas où l’urgence impose une action immédiate (flagrant délit, danger imminent), comme c’était le cas lors de l’attentat de Trèbes
4. Procédures d’intervention dans les cas d’urgence
Dans le cadre d’une intervention d’urgence, il est laissé à l’officier une appréciation autonome de la situation en cas d’urgence vitale ou de péril immédiat, dans le cadre d’un usage de la force encadré par les règles légales : nécessité, proportionnalité, et légitimité.
Arnaud Beltrame a-t-il respecté les procédures?
Arnaud Beltrame a agi dans un contexte exceptionnel où les règles et les procédures classiques peuvent être adaptées en fonction de la situation. Voici les principaux éléments à considérer :
- Le cadre d’urgence et de danger immédiat : La situation relevait d’une prise d’otages avec menace terroriste directe, ce qui justifie une intervention immédiate. En tant qu’officier expérimenté, il disposait de la latitude pour prendre des décisions autonomes dans ce contexte.
- La priorité à la sauvegarde des vies humaines : Dans les opérations de sécurité, la protection des civils est une priorité absolue. En se substituant à l’otage, il a agi pour minimiser les risques pour Julie, conformément à l’esprit de la mission.
- Son rôle d’officier : En tant que lieutenant-colonel, Arnaud Beltrame était le commandant des opérations sur le terrain. Il avait la responsabilité de prendre des décisions tactiques. Ce rôle lui permettait de s’engager personnellement, bien que cela ne soit pas usuel.
Dans les situations de crise extrême comme celle-ci, les procédures établies peuvent être adaptées :
- La négociation avec les preneurs d’otages : Cette action entre dans les stratégies de négociation pour apaiser ou détourner l’attention du terroriste.
- Prise de risque personnel : Même si les procédures ne demandent pas explicitement qu’un officier se substitue à un otage, l’urgence et la possibilité d’éviter une perte immédiate de vie civile justifient ce choix.
Il a parfois été reproché à Arnaud Beltrame d’avoir laissé son arme de service chargée au terroriste. Cet argument a peu de valeur dans la mesure où il était très difficile de vider le chargeur dans ces courts instants et qu’il savait que le terroriste avait déjà une arme à feu ainsi qu’un couteau. Il ne lui donnait pas un avantage supplémentaire avec une troisième arme de même nature.
Arnaud Beltrame a agi dans un cadre où les procédures habituelles laissent place à la prise d’initiative en situation de crise. Si son choix de se substituer à l’otage n’est pas explicitement décrit dans les manuels opérationnels, il s’inscrit pleinement dans l’esprit des valeurs de la gendarmerie nationale : protéger, servir et sauver des vies, quitte à prendre des risques personnels considérables et en totale conformité avec son serment et le protocole.
Est-ce que tout officier de gendarmerie aurait pris la même décision dans la même situation ?
Absolument pas ! Ce type de décision est rare. Dans le livre «Arnaud Beltrame. Le Héros dont la France a besoin », les auteurs ont recueilli quelques témoignages de gendarmes :
« Ce n’était pas dans les manuels. C’est vraiment une décision personnelle », commente un membre du GIGN. « Je ne sais pas ce que j’aurais fait à ce moment-là », glisse un officier de Carcassonne. D’autres l’avouent : « Je pense que je n’aurais pas fait ça » ou concèdent : « Dans ma carrière, je connais peu ou pas d’officiers qui auraient fait ça. » Son geste est parfois discuté. Un ancien du GIGN s’interroge : « Humainement, c’est un beau geste. Mais si on l’analyse d’un point de vue opérationnel, il substituait à un otage un autre qui avait une plus grande valeur pour le terroriste. Les forces de l’ordre comme les militaires font partie des cibles prioritaires des djihadistes. »
Concernant ce dernier point, s’il l’ont peut comprendre la valeur d’un officier de gendarmerie pour un terroriste, il reste impensable de mesurer la valeur d’une vie à la mesure de son métier et de ses galons. Et c’est exactement ce qu’Arnaud Beltrame n’a pas fait. Il a promis de protéger et n’a pas fait le calcul du poids de sa vie face à celle de Julie ou d’un autre gendarme. Il a pris la décision qu’il a jugé la meilleure possible dans le cadre de la mission et de la responsabilité qu’il avait en tant qu’officier le plus gradé sur place : sauver Julie en s’engageant personnellement.
Comment juger la décision d’Arnaud Beltrame de se subtituer à Julie ?
Après cet acte héroïque, plusieurs responsables de la gendarmerie et du gouvernement ont salué son courage exceptionnel, tout en reconnaissant que son geste était rare et hors du cadre classique. Le général Richard Lizurey en particulier, alors directeur général de la gendarmerie, a déclaré que son acte était conforme aux valeurs de la gendarmerie et qu’il avait fait preuve d’une « extraordinaire humanité ».
Arnaud Beltrame n’a pas désobéi et a parfaitement respecté les procédures. Il a aussi incarné les valeurs de la gendarmerie, qui incluent le don de soi pour protéger la vie des autres. Son acte n’était pas uniquement dicté par des procédures d’urgence, mais par un sens moral élevé et un engagement profond envers son devoir. Il voyait dans la gendarmerie une forme de continuité de la chevalerie. Il a agit en Chevalier moderne !
Citations sur la valeur héroïque de son acte
Le colonel Éric Luzet, actuel commandant de la division des opérations de la gendarmerie de Franche-Comté, refuse de considérer le geste d’Arnaud Beltrame comme un sacrifice. « Ce n’est pas une action suicidaire. Quand j’ai appris qu’il s’était substitué à l’otage, je suis devenu blanc comme un linge. Puis je me suis dit que c’était tout à son image et celle des valeurs qu’il n’avait de cesse de prôner. »
Il précise : « Ce sont des décisions que l’on prend en quelques instants. Il n’était engagé que depuis un quart d’heure sur l’opération. Je pense qu’il s’est d’abord dit, je vais sauver cette personne, car c’est notre métier de protéger les gens. Il n’a pas tergiversé, mais il espérait certainement profiter d’une opportunité pour neutraliser l’individu. Il est allé au bout de sa logique. » (de Arnaud Beltrame. Le Héros dont la France a besoin par JACQUES DUPLESSY, BENOIT LEPRINCE, Richard Lizurey, Bernard Bajolet, Jacques Duplessy, Benoît Leprince)
Bernard Barjolet, ambassadeur à Bagdad lorsque Arnaud Beltrame avait déjà sauvé une Française : «En se substituant à une otage au Super U de Trèbes, Arnaud Beltrame était parfaitement conscient du risque qu’il prenait. Mais je crois aussi qu’au moment où il le faisait, il n’envisageait pas la mort comme la seule issue possible. Peut-être espérait-il pouvoir raisonner le jeune terroriste, gagner du temps en attendant une intervention de vive force ? Il n’a pas, à proprement parler, échangé sa vie, qu’il n’était pas sûr de perdre, contre celle de l’otage. Il a simplement fait ce qu’il considérait être son devoir, dans la position qui était la sienne. Devoir vis-à-vis d’une personne civile dont la protection fait partie des missions de la Gendarmerie nationale ; devoir humaniste vis-à-vis de son prochain ; devoir d’exemplarité, à l’égard de ses hommes, mais aussi de l’ensemble de nos concitoyens. Cela ne diminue en aucune façon la valeur de son geste. » (de Arnaud Beltrame. Le Héros dont la France a besoin par JACQUES DUPLESSY, BENOIT LEPRINCE, Richard Lizurey, Bernard Bajolet, Jacques Duplessy, Benoît Leprince)